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Que faire de l'idéal méritocratique ?

Par adminDernière modification 19/06/2006 23:30

Communication de François Dubet pour la séance plénière du lundi 15 mai "Tous et les meilleurs : justice en éducation et modèle de société dans les pays développés"

Les tragédies de la justice

La plupart des recherches en sociologie de l'éducation sont portées par des conceptions plus ou moins implicites de la justice scolaire. Ces conceptions sont très largement incluses dans la définition des problèmes scolaires et des politiques scolaires qui s'efforcent d'y répondre. Durant une très longue période, on a pu avoir le sentiment que les cadres de justice étaient assez largement partagés par les acteurs scolaires et par la société, procurant ainsi un sentiment de forte légitimité à l'école. Depuis une trentaine d'années, les accords semblent s'être défaits et nous sommes confrontés à des problèmes de justice particulièrement difficiles parce que nous sommes déchirés entre des critères de justice différents, à la fois dans la sphère de l'école, et plus largement dans celle de la société. Aussi, la sociologie de l'éducation est-elle de plus en plus une sociologie politique, au sens où l'on parlait d'économie politique. A défaut de répondre à ces problèmes, nous pourrions essayer de les clarifier.

De l'égalité républicaine à l'égalité des chances

Chacun sait que la grande mutation du siècle dernier fut le passage de la mesure de la justice du système scolaire en termes d'égalité d'accès à l'école, à la mesure en termes d'égalité des chances. Ainsi, l'école républicaine tirait sa fierté de sa capacité de scolariser tous les élèves afin de souder la nation, d'installer ses valeurs et de former des citoyens. Rappelons que ce critère vaut toujours dans un grand nombre de pays cherchant à offrir l'accès à une éducation élémentaire à tous les enfants. Mais il faut aussi rappeler que ce critère n'a guère mis en question l'existence d'un système dual, sachant que l'accès de quelques enfants du peuple à une scolarité longue suffisait à démontrer la justice de l'école. Notons que la rhétorique républicaine reste empreinte de la nostalgie de cette période et de cette conception.

Si Les héritiers a eu un tel impact, c'est moins par les inégalités que ce livre révèle que parce qu'il repose sur une autre conception de la justice. L'entrée dans une école de masse offrant a priori à tous la possibilité de poursuivre des études longues et d'atteindre à l'excellence introduit un autre critère de justice : l'égalité des chances. On ne s'interroge plus sur le nombre d'enfants scolarisés et sachant lire, écrire et compter convenablement, mais sur le pourcentage d'enfants du peuple accédant à l'excellence en fonction d'une norme qui serait celle d'une égalité des chances pures. Dans une école juste, le pourcentage d'enfants d'ouvriers à l'école polytechnique devrait être identique à celui du pourcentage d'ouvriers dans la population active. Cette norme s'est totalement imposée chez les sociologues et dans l'opinion publique et politique où l'on ne cesse de dénoncer le faible nombre d'enfants de milieux populaires à l'université et dans les grandes écoles.

Que l'on choisisse d'expliquer cette injustice sociale par les inégalités sociales et culturelles, par les choix stratégiques des acteurs ou bien encore par le fonctionnement même de l'école ne change rien à l'affaire : l'égalité des chances s'impose comme la figure centrale de la justice scolaire. Elle semble même aujourd'hui en être la figure dominante, voire unique, que l'on parle d'égalité ou de discrimination positive.

Le sort des vaincus

Je fais l'hypothèse que nous sortons du monopole de l'égalité des chances comme figure de la justice et, comme toujours, beaucoup moins pour des raisons théoriques que pour des raisons pratiques que l'on peut énoncer simplement.

•  Déception face à la « résistance » de l'inégalité des chances en dépit d'une massification considérable et coûteuse.

•  Emergence du problème de l'utilité des diplômes quand tout le monde en a besoin et quand ils protègent de moins en moins du déclassement.

•  Développement des conduites de refus scolaire, décrochage ou violence, chez les élèves les plus faibles et les moins favorisés.

Dès lors, un nouveau critère de justice se constitue progressivement : celui la justice du sort réservé aux vaincus de l'égalité des chances, sachant que, même dans l'hypothèse improbable d'une égalité des chances pure, les sort réservé aux vaincus devient une norme de justice. Dans la sociologie se posent alors des questions relatives aux niveaux et aux écarts de niveaux des élèves, à l'utilité sociale des formations et, renversant le modèle méritocratique de l'égalité des chances, à l'impact des inégalités scolaires sur des inégalités sociales qu'elles engendrent. Ce principe de justice peut être défini de manière rawlsienne comme « le principe de différence » définissant l'accès des plus défavorisés ou des vaincus aux biens élémentaires. C'est en ces termes que parlent les défenseurs du collège unique et de la culture commune. Si l'on voulait être un tantinet « marxiste », il serait facile de montrer que l'égalité des chances reste centrale pour les vainqueurs et les classes moyennes alors que le principe de différence adopte le point de vue des vaincus et des moins défavorisés, point de vue beaucoup plus discret sur la scène politique et médiatique. Mais il est clair qu'il existe une forte tension entre ces deux principes sachant que, en termes de justice, on ne peut renoncer à aucun des deux.

L'école républicaine peut-elle être une école démocratique ?

Même si les enjeux de la justice scolaire sont dominés par les problèmes de l'égalité, ils ne s'y réduisent pas. Philosophiquement, se posent aussi les problèmes de la liberté, de l'autonomie, de la « capabilité » ou, pour le dire de manière plus triviale, les problèmes proprement éducatifs tenant à la manière dont sont traités les élèves. Sont-ils traités comme des individus, comme des sujets, où sont-ils traités comme de simples réceptacles de connaissances qu'il importe de classer et de discipliner ? Cette question est indépendante de celles de l'égalité car nous conviendrons aisément qu'une école parfaitement équitable qui humilierait les élèves et leur interdirait toute autonomie ne serait pas totalement juste, pas plus qu'une école qui orienterait les élèves sans tenir compte de leurs choix et de ceux de leurs parents. Cette dimension de la justice se pose de plus en plus et, là encore, pour des raisons pratiques.

•  Depuis une quinzaine d'années, les travaux portant sur l'expérience des élèves montrent que les élèves sont extrêmement sensibles à la justice scolaire elle-même : notation, sanction, orientation, sentiments de respect ou d'humiliation participent de la justice scolaire. La manière dont l'école combine l'égalité de tous et le mérite de chacun prend de plus en plus d'importance.

•  Cette question est aussi au cœur de tous les problèmes posés par le décrochage et la violence scolaire et, aujourd'hui, elle commande les appels à l'autorité et la discipline qui dominent les revendications des enseignants et les discours centrés sur le retour à l'ordre et à la tradition.

•  En même temps, cette question s'inscrit dans la longue évolution historique nous conduisant à considérer que l'enfant est un sujet disposant de droits.

La question de justice qui se pose peut être formulée ainsi : l'école républicaine peut-elle devenir une école démocratique ? Au-delà des questions de l'égalité, les élèves disposent-ils de droits et de garanties assurant leur égale liberté et leur égale dignité ? On sait que ce sont là des questions qui fâchent bien plus le monde scolaire que celui la seule égalité des chances.

Des principes opposés

L'égalité des chances méritocratique, l'égalité de base garantie à tous et la dignité offerte à chacun peuvent nous sembler trois principes de justice également désirables. Toute la difficulté vient de ce que ces trois principes sont fondamentalement opposés entre eux car, poussé à son terme, chacun d'eux détruit les deux autres. Les tenants de l'égalité des chances méritocratique attachés à « l'excellence pour tous » refusent obstinément l'égalité de base perçue comme un SMIC. Les défenseurs de l'égalité de base pourraient ne pas viser la promotion des meilleurs. Les tenants de l'école démocratique pourraient, en adaptant l'offre à la demande, porter atteinte à l'égalité des chances et l'on ne manque pas de travaux rappelant que l'autonomie des élèves est en fait une ruse du marché favorable aux privilégiés… Nous sommes donc condamnés à des exercices de combinatoires et d'agencements entre des principes divergents, tout en ne laissant pas les acteurs s'arranger localement.

Si ces divers principes de justice sont équivalents en tant que principes, force et de reconnaître que leur poids social est très inégal. L'égalité des chances est soutenue par les élites car elle justifie leur position, et par les classes moyennes, donc très largement par les enseignants eux-mêmes, qui y voient leur seule chance de reproduction. L'égalité de base est en principe défendue par les classes populaires qui sont victimes de l'égalité des chances, mais celles-ci sont faiblement légitimes dans le monde scolaire et les syndicats de salariés ont acquis la vieille habitude de ne pas se mêler des problèmes de l'école. Enfin, le problème du droit des élèves ne se donne à voir qu'à travers les conduites des élèves perçus généralement, et de plus en plus, comme des déviants et/ou des classes dangereuses.

Il reste que les chercheurs, peuvent ou devraient combiner tous ces principes de justices dans leurs travaux, notamment afin d'accroître leur propre réflexivité sur les critères normatifs qui guident leurs recherches. En effet, l'idéologie consiste moins à affirmer les valeurs ou les principes qui guident les recherches jusque dans les constructions statistiques les plus minutieuses, qu'à ignorer les dimensions normatives de ces constructions-là. Dans la mesure où, qu'ils le veuillent ou non, les travaux sociologiques fonctionnent aussi comme des expertises, cette forme de lucidité pourrait se défaire des facilités et des poses de la dénonciation et, collectivement, elle pourrait nous rendre plus intelligents. Elle nous permettrait de comprendre que la justice est un effet de combinaison et qu'elle ne peut plus être l'application d'une one best way favorable à toutes les illusions et à toutes les démagogies.

Education et sociétés
Numéro 21
Former des élites dans un monde incertain
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